Un témoignage authentique ? Eglise de Saint-Paul ad tres fontes, bâtie sur le lieu du martyre de l’Apôtre Le groupe des lettres dites «Pastorales» pose depuis longtemps aux yeux des chercheurs un problème d'identité de son rédacteur (ou de ses rédacteurs). Quand on parcourt la littérature spécialisée, les avis sont largement
contre l'authenticité paulinienne, et les datations proposées sont reportées vers l'an 90, peut-être au-delà.
On met habituellement en avant les arguments suivants.
a) Le ton de Paul est très différent de celui adopté dans les autres lettres.
b) Les détails biographiques ne «collent» pas avec ce que l'on sait de la vie de l'apôtre, à moins d'admettre, après le séjour romain des années 61-63 un nouveau voyage missionnaire en Grèce.
c) La théologie est différente de celle des autres écrits.
d) L'Eglise ici déjà possède une organisation (évêques) différente de celle qu'on imagine dans le Christianisme naissant.
Les attestations les plus anciennes de ces trois opus les présentent comme un corpus, et ces textes présentent d'évidentes parentés entre eux (stylistiques et théologiques, surtout entre I Timothée et Tite).
=> Mais ces dernières années, on assiste à un certain revirement d'opinion pour ce qui est de
II Timothée, auquel de plus en plus de critiques rendent le cachet de
l'authenticité. Je partage cet avis et je trouve intéressant d'expliquer pourquoi.
Un élément préalable à connaître: Les lettres sont toujours classées dans un ordre d'importance (de la plus longue à la plus courte). Si II Timothée est placée après I Timothée, c'est d'abord pour une question de longueur et ensuite pour une question de contenu. Il ne faut pas voir dans la numérotation la trace d'une chronologie.
=> Reprenons maintenant les arguments qui pourraient conforter - ou non - la thèse de la légitimité.
Extérieurement, dans une première approche, très globale, l'Epître ressemble à celle aux
Philippiens, dont l'origine est, elle, reconnue. Dans les deux textes, il y a une dimension personnellle, des rappels de doctrine et des exhortations. Il est possible de penser que les deux lettres sont nées du même auteur. Leur ressemblances restent toutefois
générales, de sorte qu'on ne peut pas parler de pastiche.
Dans II Timothée, les éléments du contexte, les mentions de personnages, fourmillent (voir tout le
chapitre IV). S'il y avait eu pseudépigraphie, le faussaire ne se serait pas donné tant de peine ! A quoi bon si la missive est pseudépigraphe ?
Paul paraît près de mourir, et des indices extérieurs concordants (entre autres la première épître de Clément, vers 95) donnent à penser que l'Apôtre des Gentils a été exécuté à Rome après une trahison.
- Citation :
- 2Tm 4:6-Quant à moi, je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est venu.
2Tm 4:7-J'ai combattu jusqu'au bout le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi.
Luc, dans les Actes, ne présentait pas le séjour romain comme dramatique. Mais on sait que l'évangéliste a tendance à «adoucir» les tensions de l'Eglise naissante...
La théologie paraît bien dans la ligne de Paul:
- Citation :
- 2Tm 2:11-Elle est sûre cette parole : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons.
Ce verset fait bien écho à l'Epître aux Romains (chap. V). Il n'en est pas de même dans les autres épîtres pastorales. Dans celles-là, le ton est moraliste, à la condamnation (voir I Timothée, chap. VI)
Les écrits pseudépigraphique se présentent souvent comme des discours d'adieu. Un personnage résume sa doctrine et l'exposé a souvent été réécrit en fonction des événements ultérieurs; la deuxième Epître «de Pierre» (!) est à cet égard un bon exemple. Pour ce qui est de II Timothée, le ton aurait dû devenir plus apocalyptique, surtout quand il s'agit des derniers temps. Or on lit:
- Citation :
- 2Tm 3:1-Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours surviendront des moments difficiles.
2Tm 3:2-Les hommes en effet seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges,
2Tm 3:3-sans cœur, sans pitié, médisants, intempérants, intraitables, ennemis du bien,
2Tm 3:4-délateurs, effrontés, aveuglés par l'orgueil, plus amis de la volupté que de Dieu,
2Tm 3:5-ayant les apparences de la piété mais reniant ce qui en est la force. Ceux-là aussi, évite-les.
Il est question d'épreuves, de délation, mais pas d'antéchrist ni d'apocalypse. D'autre part, Il a été dit que Clément de Rome, toujours lui, évoque une dénonciation - autrement dit un règlement de comptes - pour expliquer l'exécution de Paul.
L'organisation ecclésiale est assez «simple». Pas de grande hiérarchie:
- Citation :
- 2Tm 2:2-Ce que tu as appris de moi sur l'attestation de nombreux témoins, confie-le à des hommes sûrs, capables à leur tour d'en instruire d'autres.
Pour ce qui est de la Christologie, Dieu et Jésus paraissent bien différenciés:
- Citation :
- 2Tm 1:1-Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, pour annoncer la promesse de la vie qui est dans le Christ Jésus,
2Tm 1:2-à Timothée mon enfant bien-aimé, grâce, miséricorde, paix de par Dieu le Père et le Christ Jésus notre Seigneur.
Jésus est une «promesse de vie», il n'est pas explicitement désigné sous le terme de Dieu...
• Des passages restent néanmoins sujets à débat:
- Citation :
- 2Tm 4:3-Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l'oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité
2Tm 4:4-et détourneront l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables.
On a l'impression ici de percevoir l'écho des tensions dans l'Eglise au tournant des premiers et deuxième siécles. Mais quand on sait que la pseudépigraphie était un d'un usage fréquent, on peut imaginer que ces versets ont été ajoutés (la lettre se comprend aisément sans eux).
Autre fragment problématique: comment comprendre les «saintes lettres» ?
- Citation :
- 2Tm 3:15-et c'est depuis ton plus jeune âge que tu connais les saintes Lettres. Elles sont à même de te procurer la sagesse qui conduit au salut par la foi dans le Christ Jésus.
D'aucuns y verrons une allusion à une collection de lettres de l'Apôtre. Pour ma part je l'interprète comme une référence à la Torah.
Tous ces points m'amènent à penser que II Timothée est bel et bien une
lettre authentique du corpus paulinien, un témoignage poignant de la fin de la «carrière» de l'apôtre. En cela, je suis la tendance de la critique récente qui réévalue de document.
Reste la question du rapport avec les autres épîtres pastorales. Dans un autre message j'ai montrer que l'épître de Tite
(cliquer ici) n'est pas de Paul. I Timothée est aussi l'oeuvre d'une main anonyme
(cliquer ici). Que conclure de la relation entre ces trois textes ?
Je pense qu'une «école paulinienne» qui possédait un exemplaire de II Timothée et qui avait une connaissance assez directe de la doctrine de l'Apôtre, a voulu préciser et développer la pensée du Tarsiote. A partir de II Timothée, elle a repris des éléments pour composer les deux autres épîtres pastorales. Au vu des indications sur l'organisation de l'Eglise, on peut penser que cette «Ecole» se situait à Rome. La perspective ne paraît, pour les deux pseudépigraphes, dans le fond pas très éloignée de la Deuxième Epître «de Pierre»
En revanche avec II Timothée, j'estime que nous possédons un témoignage assez touchant de l'Apôtre au terme de sa vie...