Rappel du premier message :Un écrit qui n'est pas une lettre, qui n'est pas de Paul et qui ne s'adresse pas aux Ephésiens.
Une étude du texte mais aussi des opinions des théologiens, rend assez évidente cette remarque provocatrice.
Ce texte n'a pas les apparences d'une lettre dans laquelle un auteur s'adresserait à un destinataire précis pour évoquer des points théologiques spécifiques.Les seuls éléments personnels se retrouvent mots pour mot dans l'Epître aux Colossiens (4: 7-8 ):
- Citation :
- Ep 6:21-Je désire que vous sachiez, vous aussi, où j'en suis et ce que je deviens ; vous serez informés de tout par Tychique, ce frère bien-aimé qui m'est un fidèle assistant dans le Seigneur.
Ep 6:22-Je vous l'envoie tout exprès pour vous donner de nos nouvelles et réconforter vos coeurs.
Plus qu'une épître, c'est un
texte de louange. Le texte proclame la paix messianique, le règne de Dieu. La communauté réconciliée en est le noyau symbolique. L'alliance entre divinité et humanité transparaît à double titre: La grâce d'une fidélité jamais démentie est célébrée ainsi que qu'une initiative créatrice faisant passer de la vie à la mort. Certains spécialistes y voient une liturgie de la Pentecôte.
Les théologiens soulignent aussi le fait que le document est curieusement très juif, l'empreinte de la littérature sapientielle encore très forte. Le style est celui d'une langue destinée à être lue à haute voix. Ce serait donc un texte liturgique.
La «Lettre» manifeste peu de souvenirs personnels entre Paul et les Ephésiens. - Citation :
- Ep 1:15-C'est pourquoi moi-même, ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l'égard de tous les saints,
Ep 1:16-je ne cesse de rendre grâces à votre sujet et de faire mémoire de vous dans mes prières.
ou encore:
- Citation :
- Ep 1:15-C'est pourquoi moi-même, ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l'égard de tous les saints,
Ep 1:16-je ne cesse de rendre grâces à votre sujet et de faire mémoire de vous dans mes prières.
Etranges remarques de la part de quelqu'un qui a séjourné longuement dans cette ville !
Un élément supplémentaire va dans le sens d'une
absence de lien explicite avec la cité d'Asie mineure: certains manuscrits, parmi les plus anciens, ne comportent pas la mention «aux Ephésiens».
Dans ces conditions, à quel texte a-t-on affaire ?Une première lecture conduit au constat que cet écrit paraît être un
développement de Colossiens qui est elle-même d'une authenticité discutée. Citons ici quelques éléments souvent évoqués par les spécialistes:
Col 1: 1-2 —> Ep 1, 1-2
Col 1: 1-27 —> Ep 2: 12-16
ou encore
Col 3: 12-15 —> Ep. 2-4
Pour autant, «Ephésiens»
n'est pas une copie servile, la perspective n'est pas la même. L'auteur a puisé dans des sources diverses, notamment Colossiens, mais il intègre bien ses emprunts et cela donne un recueil d'hymnes ou de traditions catéchétiques.
Ce texte a des envolées célestes infiniment plus marquées. La victoire du Christ atteint des
dimensions cosmiques qui traduisent la grandeur et la plénitude du message divin. C'est une célébration qui chante la réconciliation de l'univers. Parmi les images, on note une référence au judaïsme (ex. occurrence du mot temple), mais aussi une représentation corps qui paraît dériver des conceptions du stoïcisme.
Comment s'organise le document ?Deux parties se laissent facilement cerner:
a) L'instruction célébration
b) l'exhortation pastorale
Mais théologie et éthique restent très liées.
Plus spécifiquement on pourrait, par exemple, relever les points de repère suivants, souvent évoqués par les universitaires dans leurs travaux:
1: 3-12: Chant d'alliance et de bénédiction
I: 20-23 Intronisation du Christ
2: 4-10 Union baptismal
2: 14-18 Hymne à la paix
2: 14-21 Adoration et amour divin
4: 4-6 Confession trinitaire
5: 14 Hymne pascal
Cette épître a été citée tôt: Didaché, Epître de Barnabé, Ignace d'Antioche, Polycarpe, et surtout Ignace, vers 110 dans sa lettre à Polycarpe... Elle doit donc dater de la fin du Ier siècle.
L'auteur n'est certainement pas Paul, mais l'impression laissée par l'apôtre (et particulièrement en Asie mineure où ce document a dû être rédigé) a été telle qu'
on ne s'imaginait pas encore d'autre moyen que sa signature pour intervenir au sein des Eglises.
Qu'est-ce qui peut ressortir d'une première étude ?Une sorte de double but semble se dessiner: Il fallait
réinterpréter globalement le message paulinien à partir d'une conviction reçue, mais aussi tenir compte d'une
situation neuve. En cela, la préoccupation ne diffère guère de celle des auteurs des évangiles. On a donc ici voulu incorporer dans le paulinisme des traditions qui avaient mûri dans des milieux autres que pauliniens (Luc, Pierre ou Jean).
=> De
Paul le texte reprend plus ou moins sa forme extérieure: le document se veut une lettre, attribue la paternité à l'Apôtre et s'achève sur des communications morales et personnelles (presque exclusivement reprises de Colossiens). Du Paul authentique vient l'idée du grand acte réconciliateur de Dieu accompli par la mort et la résurrection du Christ. Il y a aussi l'idée de la réconciliation du monde au travers de la croix.
Mais la perspective a évolué: l'évangile de justification et de justice (tel qu'il se profile dans l'Epître aux Romains par exemple) est devenu l'évangile de paix. Le christianisme se sépare du messianisme «pur», centré sur la personne de Jésus, pour enter dans la catégorie des religions du salut. Le salut est de plus déjà accompli, tandis que Paul parle de futur ou de monde d'en haut (dans l'Epître aux Colossiens, pour autant qu'on admette qu'il en soit l'auteur)
=> Le texte se rapproche aussi de la
tradition paulinienne: Dans plusieurs éléments (vocabulaire, conseils domestiques) on est proche des épîtres pastorales (Tite et I Timothée, surtout). Mais où les pastorales parlent d'autorité, «Ephésiens» privilégie les ministères de la parole.
=> Certains ont vu dans ce texte une sorte d'
introduction aux épîtres de Paul qui aurait ouvert un premier recueil des écrits de l'Apôtre. Si c'est le cas, et les éléments décisifs manquent pur trancher qui en serait l'initiateur ? Onésime ? Des éléments paraissent rapprocher Ephésiens, Colossiens et Philémon. mais rien de déterminant.
=> Luc ? Dans ce texte, l'ascension est l'aboutissement du salut. Judéo-Chrétiens et Pagano-Chrétiens paraissent réconciliés
- Citation :
- Ep 2:13-Or voici qu'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ.
Ep 2:14-Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine,
Ep 2:15-cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix,
Ep 2:16-et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine.
Cette préoccupation est centrale dans la théologie des Actes. D'ailleurs Luc fait dire à Paul:
- Citation :
- Ac 20:20-Vous savez comment, en rien de ce qui vous était avantageux, je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé,
Ac 20:21-adjurant Juifs et Grecs de se repentir envers Dieu et de croire en Jésus, notre Seigneur.
=> On observe aussi des parallèles avec l'
Epître aux Hébreux (motifs de la rédemption, du sang, de la rémission des péchés) C'est dans la chair du Christ que la barrière est abolie (Ep. 2, 14) ou que le voile est déchiré (He 10, 20) dans les deux cas, c'est une prédication, un traité théologique. Notons que des indices concordants font d'Ephèse le lieu de rédaction de cette épître...
D'autres encore opèrent des approchements avec
I Pierre (éléments en relation avec le baptême), texte envoyé à des communautés d'Asie mineure
Mais surtout Ephésiens apparaît comme un point de jonction entre
Jean et «Paul» (l'Apôtre et surtout l'école théologique qui se réclame de lui). Du monde johannique proviennent des concepts comme celui qui affirme que le Père est dans le Christ, le Fils dans les Siens, les siens dans le monde. La plénitude divine s'est manifestée dans le Christ...
- Citation :
- Ep 2:4-Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés,
Ep 2:5-alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ - c'est par grâce que vous êtes sauvés ! -
Ep 2:6-avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus.
... «celui qui croit en Dieu a la vie éternelle», rapporte Jean.
Qu'en conclure ?Ephésiens se profile comme une sorte d'écrit syncrétiste à l'intérieur du Christianisme naissant (cohabitation de tendances et idées attribuées à Paul, Luc ou Jean). Mais il semble tendre la main à la mythologie gnostique, aux religions à mystères,
- Citation :
- Ep 3:2-Car vous avez appris, je pense, comment Dieu m'a dispensé la grâce qu'il m'a confiée pour vous,
Ep 3:3-m'accordant par révélation la connaissance du Mystère, tel que je viens de l'exposer en peu de mots :
...mais aussi à une sorte de philosophie populaire hellénistique: on s'adresse ici à un public qui aimait les gris-gris (il suffit de penser à toutes les pratiques liées au culte de Diane), Toutes ces superstitions ont été supprimées par l'Evangile, faut-il le préciser, évangile qui disait faire là un acte libératoire...
Tous ces éléments qui concernent les auteurs et les idées ramènent, selon moi, à la ville d'
Ephèse, non comme lieu de destination, mais comme
endroit d'élaboration du texte.
En somme, pour reprendre une formule déjà employée, dans cette «épître» on remplace à la
pax romana, par la
pax chrtistiana. Et ce sont ces
éléments consensuels qui, à mon avis, expliquent sans nul doute le succès de cet écrit...